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Le livre du rire et de l'oubli de Milan Kundera, 1978

 

 

         Le livre du rire et de l'oubli est un livre dérangeant, autant par les thèmes qu'il aborde que par sa composition, qui ressemble à première vue davantage à un recueil de nouvelles plutôt qu'à un "roman en forme de variations", comme se plaît à l'appeler l'auteur. Bien que le lecteur suive en effet des histoires qui se font écho car abordant des thèmes communs — sexe essentiellement, amour, rire et réflexions philosophiques en tout genre, de même que la ville de Prague est citée à plusieurs reprises —, l'impression de discontinuité prime et il semble alors qu'un travail important de redécoupage de l'œuvre doive être mise en place afin d'en saisir toute la subtilité. Appréhender la pensée cohérente de l'auteur-narrateur (qui est-il, d'ailleurs ? chez Kundera, la distinction est floue, d'autant plus que ce livre comporte des passages autobiographiques) ne paraît donc ici pas tâche aisée tant cette dernière semble décousue, éclatée, désordonnée. Car en effet le lecteur peut tout de même trouver ces jolies réflexions qui sonnent justes, typiques de Kundera, sur la mort, la vieillesse, le rire, la musique, ce qui renforce le caractère frustrant de l'œuvre qui propose une certaine unité à un niveau épidermique mais pas à plus vaste échelle. Associées à une alternance des points de vue, ces réflexions donnent ainsi un sentiment de complétude.


"[Le] rire n'a pas d'objet, il est l'expression de l'être qui se réjouit d'être. De même que par son gémissement celui qui a mal s'enchaîne à la seconde présente de son corps souffrant (et il est tout entier en dehors du passé et de l'avenir), de même, celui qui éclate de ce rire extatique est sans souvenir et sans désir, car il jette son cri à la seconde présente du monde et ne veut rien connaître qu'elle." (page 101, édition Folio)

        Comme toujours chez Kundera, on narre en effet la rencontre de plusieurs êtres qui se toisent et se parlent, se regardent et se détaillent. Ces rencontres font l'objet d'un traitement par une alternance de points de vue qui rappelle la polyphonie musicale, le thème de la musique étant par ailleurs particulièrement présent dans cet ouvrage : s'entremêlent alors presque schématiquement les discours et les descriptions de sentiments sur les situations à peine stéréotypées que vivent les personnages. Cette alternance des points de vue, qui se fait généralement en l'espace de quelques lignes, aurait pu permettre à l'auteur de ne pas tomber dans une espèce d'absolu et donc de nuancer ce qui est avancé. 


        En effet, certains passages peuvent choquer par leur traitement, en apparence léger, de sujets que l'on considère comme relevant du sensible et du sérieux, et où règne aujourd'hui un certain consensus quant aux vues à avoir : la nuance apparaît donc être de mise dans ces passages où l'influence de 68 semble plus que présente et dérangeante... ce qui n'a pourtant pas toujours été le cas et qui m'a, à titre personnel, beaucoup décontenancée (presque dégoûtée, même) à la première lecture. Bien qu'une idée avancée par un protagoniste soit presque toujours nuancée par celui qui lui fait face — les romans de Kundera mettant généralement en scène des individus qui se complètent, l'impression générale qui ressort de cet ouvrage est celle d'un regard masculin dominant, évaluant ses conquêtes perçues comme des objets de discours et non comme des sujets. La voix d'Edwige dans la dernière partie de l'œuvre fait figure d'exception et permet au texte de retrouver, pour un temps, cette forme d'équilibre qu'elle semble revendiquer au travers de cette écriture polyphonique. 


"L'invention de la presse à imprimer a jadis permis aux hommes de se comprendre mutuellement. À l'ère de la graphomanie universelle, le fait d'écrire des livres prend un sens opposé : chacun s'entoure de ses propres mots comme d'un mur de miroirs qui ne laisse filtrer aucune voix du dehors." (page 156, édition Folio)


        Je ressors donc mitigée de ma lecture : si certains passages m'ont vraiment émue par leur beauté ou l'impression de vérité qui en émergeait, et d'autres amusée par leur dispositif narratif, comme le chapitre 5 sur la litost où Kundera fait dialoguer poètes d'aujourd'hui et d'antan, quelques-uns m'ont surprise (dans le mauvais sens du terme). L'omniprésence du thème de la sexualité n'aurait pas été dérangeante si elle n'avait pas paru gratuite, violente sans raison, à certains moments. On soulignera tout de même l'élégance de la plume de l'auteur, suggérant en peu de mots une vérité paraissant universelle : c'est tout de même l'impression du mot juste (hormis sur le thème de la sexualité) qui se dégage in fine de cet ouvrage... 








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